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Humour et Ironie : aspects linguistique et psychanalytique | ||
Revue des Études de la Langue Française | ||
مقاله 2، دوره 13، شماره 1 - شماره پیاپی 24، مهر 2021، صفحه 1-14 اصل مقاله (1.23 M) | ||
نوع مقاله: Original Article | ||
شناسه دیجیتال (DOI): 10.22108/relf.2021.129075.1161 | ||
نویسندگان | ||
Sharareh Chavoshian* 1؛ Nahid Djalili Marand2 | ||
1Département de Français, Faculté des LettresMaître assistante, Département de Français, Faculté des Lettres, Université Alzahra, Téhéran, Iran Université Alwahra | ||
2Maître de conférences, Département de Français, Faculté des Lettres, Université Alzahra, Téhéran, Iran | ||
چکیده | ||
Cet article se penche sur l’étude analytique d’une autobiographie relatant la vie d’un père de deux handicapés mentaux où les termes de parentalité du handicap sont associés à l’humour et à l’ironie. C’est le cas de Jean-Louis Fournier, auteur de Où on va papa ? (2008), celui qui, oscillant entre réalité et imagination, établit un lien entre deux situations qui semblent inconciliables, tant il paraît évident que la première soit déprimante et la deuxième amusante. De surcroît, puisqu’il se voit tout le temps confronté à différentes réactions des gens : pitié, moquerie, dédain et hypocrisie, il ne peut guère donner une pause à sa pensée toujours penchée sur le destin de ses fils. La question à laquelle nous essayons de répondre, c’est de vérifier si l’humour et l’ironie servent de remède à ces conditions difficiles. Pour ce, outre les extraits du livre qui font part de divers aspects de la vie de ce père et de ses deux fils infirmes et témoignent des moments très délicats même insupportables qu’ils traversent, nous recourons aux définitions de ces deux éléments linguistiques ainsi qu’aux travaux des psychanalystes, nous déduirons que la présentation humoristique de cette vie, à savoir se ridiculiser et ridiculiser les autres sont des « mécanismes de défense » qui aident ce père à survivre. | ||
کلیدواژهها | ||
Handicap؛ Humour؛ Ironie؛ Mécanismes de défense؛ Père؛ Psychanalyse؛ Rêve-éveillé | ||
اصل مقاله | ||
Dans sa vie, l’être humain se voit confronté à toute sorte de problèmes dont certains semblent un écheveau emmêlé. La capacité de faire face à ces défis est en relation directe avec « les mécanismes de défense » (termes empruntés à Henri Chabrol (Chabrol, 2004)) de tout homme : il y en a qui se noient dans leur malheur, d’autres ont le courage de le prendre à bras-le-cœur, grâce à leur foi ou leur conviction, certains se réfugient dans l’humour pour pouvoir subir l’amertume des conditions de leur vie, etc. C’est le cas de Jean-Louis, père de deux handicapés mentaux, qui s’enlise dans un bourbier que le destin lui a conçu. Ses propos sont en passage entre la réalité et l’imagination : parfois, ce père cherche l’origine de son malheur lorsqu’il met en cause la justice divine et l’arbre généalogique de sa famille ; parfois, il imagine ces deux fils faisant des études, occupant des postes, se concentrant sur des œuvres artistiques, communiquant avec leur père comme il l’aurait souhaité, etc. Malgré tout, ce qui rend cette autobiographie, censée être attendrissante même affligeante, agréable aux yeux du lecteur, c’est l’emblème d’ironie et d’humour qu’elle porte. Tout au long de notre lecture, on se demandait comment un père placé dans une telle conjoncture aurait pu faire rire en parlant de ses propres enfants, ce qui nous a amenées à nous poser ces questions : Le recours à l’ironie peut-il être considéré comme remède à une grande souffrance ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) la personne souffrant d’une douleur s’y réfugie ? Nous partons de ces questions en essayant d’y trouver des réponses convaincantes, les extraits de ce livre viendront témoigner et nous servir d’appui. Quant à la méthodologie de recherche, comme l’emploi de l’ironie et de l’humour, ces éléments linguistiques, dépend entièrement ou en partie de l’état d’âme de celui qui s’en sert, nous tâcherons de chercher les motifs psychologiques de leur emploi dans l’analyse de notre corpus. En ce qui concerne le plan de l’article, après avoir posé les questions de recherche, il nous a semblé utile de présenter notre corpus ; puis nous avons brossé un tableau des recherches déjà effectuées dans ce domaine. Ensuite, pour relier les aspects linguistiques au côté psychocritique de ces rhétoriques -dont la fusion sera réalisée par la présence abondante de l’humour dans le défoulement du personnage, nous allons d’une part nous appuyer sur la théorie du « rêve-éveillé » de Robert Desoille, psychothérapeute français et d’autre part, nous aurons recours aux « mécanismes de défense » contre le stress, y compris l’humour, reconnu par des psychiatres tel Henri Chabrol et des psychologues comme Stacey Callahan. Avant de procéder à cette analyse bipolaire, il s’avère important de faire un survol des définitions des mots-clés de la recherche, présentées par les linguistes et des psychanalystes.
Présentation du corpus Le père de deux enfants handicapés mentaux se défoule en déclenchant un monologue humoristique et ironique où l’on peut repérer ces éléments linguistiques formulés amèrement ou par plaisanterie. Tantôt, il exprime son affection paternelle par des propos doux imbibés d’ironie, la présence des termes d’affection tel « oiseau » en est bel et bien preuve. Il les assimile à « deux petits oiseaux déplumés qui tremblent » (Fournier, 2008 : 36). Il dit : « Quand je pense à Mathieu et Thomas, je vois deux petits oiseaux ébouriffés. Pas des aigles, ni des paons, des oiseaux modestes, des moineaux » (Fournier, 2008 : 58). Tantôt, il fait marier l’ironie avec la comparaison, l’exagération, l’hyperbole, la litote pour parler du quotidien de ses enfants pas comme les autres et ce, dans une ambiance humoristique. En évoquant soit par ironie, soit par pitié leur petite cervelle, il les compare avec « un oiseau qui a le vertige ou un oiseau capable de siffler sans partition toutes les sonates pour flûte de Mozart » (Fournier, 2008 : 62). Tantôt il recourt à la phraséologie et au jeu de mots pour parler du comportement de ses « oiseaux », de leur croissance, etc. « Comme il est mignon ! Regardez, Ma mère, il nous sourit, on dirait un petit ange, un petit Jésus […] il fallait une patience d’ange pour le faire manger, et souvent il vomissait sur l’ange » (Fournier, 2008 : 6). Plus loin, on lit : « Or, pour Mathieu les lettres ne sont que des « petites pattes de mouche », ces « files de fourmis » tout comme « des hiéroglyphes » pour le père » (Fournier, 2008 : 31). Leur apparence est ainsi décrit sous sa plume : « Mathieu est de plus en plus vouté. Les kinés, le corset en métal, rien n'y fait. A Quinze ans, il a la silhouette d'un vieux paysan qui a passé sa vie à bêcher la terre. Quand on le promène, il ne voit que ses pieds, il ne peut même voir le ciel » (Fournier, 2008 : 51). Associant ses enfants à un monde innocent où la nature est « bienveillante », il compare leur parler à celui des animaux : « Ils miaulent, ils rugissent, ils aboient, ils piaillent, ils caquètent, ils jacassent, ils couinent, ils grincent » (Fournier, 2008 : 49). Pour ce père, ils s'expriment dans un langage onomatopéique, leur aire linguistique est celle des « lutins », incompréhensible aux humains. De même, il y a des passages associés à l'amour dont ces enfants seront privés ou bien lorsque le père se culpabilise et exprime ses regrets : « Quand je pense que je suis l’auteur des jours terribles qu’il (Mathieu) a passés sur terre, que c’est moi qui l’ai fait venir, j’ai envie de lui demander pardon » (Fournier, 2008 : 7). A préciser qu’on est témoin de l’absence de la figure maternelle dans ce monologue ; en plus, on y voit rarement l’entourage du père et sa réaction vis-à-vis de ces enfants. Le monde onirique de Jean-Louis est omniprésent à travers cette histoire où il dévoile implicitement et/ou explicitement ses rêves de souhaiter avoir des enfants normaux lesquels auraient pu lui procurer des moments de joie, de bonheur, surtout de fierté : « Peut-être que la nuit, ils sont polytechniciens, savants chercheurs, et qu’ils trouvent. » (Fournier, 2008 : 29). Jean-Louis est tellement obsédé par le handicap de ses enfants que ses pensées ne le laissent pas tranquille même pendant son sommeil. Dans un de ses rêves, le lecteur est témoin d’une intertextualité avec le conte du Petit Poucet de Charles Perrault (1697). Pourtant, on pourrait repérer les divergences entre le personnage de Perrault, doué d’une grande intelligence et les fils infirmes de ce père. A titre d’exemple, Mathieu « adore se cacher, il ne répond pas quand on l'appelle ». Il faut le chercher dans « des poches des vêtements, des tiroirs, même dans des boîtes d’allumettes » (Fournier, 2008 : 52). En opposition au Petit Poucet, non seulement Mathieu ne contribue pas à améliorer la qualité de la vie de ses parents, mais aussi il les fait piétiner. Afin de compléter cet aperçu général de l’ouvrage, il convient d’ajouter que la divinité y est également présente d’une manière ironique. Accablé par le handicap de ses enfants, ce père est à cheval entre l’ici-bas et l’Au-delà, il jette, de temps en temps, un petit clin d’œil à la religion. Après la mort de Mathieu, il se demande si dans l’autre-monde ils pourront se communiquer tous les trois. Il met constamment en cause la justice divine : « Est-ce que ça existe les handicapés, au Ciel ? » (Fournier, 2008 : 54), ce qui l’amène à se poser des questions existentielles, à faire jaillir tout naturellement des brins de jalousie en constatant la vie normale des enfants d’autrui : « Chaque fois que je reçois un faire-part de naissance, je n’ai pas envie de répondre, ni de féliciter les heureux gagnants. Bien sûr que je suis jaloux. Je suis surtout agacé après » (Fournier, 2008 : 84).
Antécédents de la recherche D’après les recherches que nous avons faites, le roman Où on va papa ? a été analysé par Elena Pinaud, cette dernière se donnant pour mission d’en faire le résumé, d’en proposer une fiche de lecture, d’en mener une analyse narrative et de répondre aux questions des lecteurs[1]. Mais nous n’avons trouvé aucune trace d’étude abordant notre question de recherche, mariant l’humour et l’ironie de l’écriture de Jean-Louis Fournier à sa critique psychanalytique. L’humour et l’ironie, en tant qu’éléments linguistiques, et la psychanalyse, en qualité de traitement de troubles et investigation de la psyché, ont été maintes fois étudiés séparément dans des articles et des livres. Vu la limite quantitative de notre étude, nous allons nous abstenir d’énumérer toutes les recherches ayant justifié la présence de l’humour et l’ironie dans un contexte selon les théories avancées par les psychanalystes. Parmi de nombreux articles consacrés aux problèmes que subissent les parents des enfants handicapés, nous allons évoquer ceux qui conviennent le mieux à notre corpus. Dans son article « Les mécanismes de défense »[2] (Chabrol, 2005 : 31), l’auteur s’est arrêté sur les « opérations mentales » automatiques qui protègent l’être humain contre le stress et contribuent à l’atténuer, parmi lesquelles il a énuméré l’humour. Auparavant, Stacey Callahan, spécialiste en psychopathologie, avait collaboré avec Chabrol[3] dans la réalisation d’un ouvrage intitulé Mécanisme de défense et coping (2004) qui aborde les mécanismes volontaires et involontaires de défense chez l’homme, y compris l’humour fonctionnant inconsciemment. Bien avant ces auteurs, dans son livre Le mot d’esprit et ses relations avec l’inconscient (1905), Sigmund Freud avait remarqué le fonctionnement involontaire de l’humour dans nos expressions et son rôle dans la transformation des situations insupportables en celles auxquelles on pourrait même prendre plaisir. Plus récemment, Guillaume Chaloult et Claude Blondeau, psychiatres à Montréal, ont élaboré une étude au sujet des « Perspectives sur l’usage de l’humour en psychothérapie »[4] (2017). Leur recherche aborde l’emploi varié des « interventions humoristiques » et de « l’humour thérapeutique » dans le traitement des maladies psychiatriques. Du côté de la parentalité des enfants handicapés, vu la différence de nature des invalidités et des services sociaux, nous avons aussi envisagé les problèmes locaux dans notre pays. Mojtaba Habibi, professeur à l’Université Shahid Beheshti, et Abolfazl Rashidi, à l’époque, doctorant en psychologie des enfants retardés mentaux à l’Université de Téhéran, ont mené une recherche (2014 : 15-26) sur le stress des mères ayant un garçon avec un retard mental, cécité, surdité et handicap physique. Ils ont déduit que les garçons non-voyants en comparaison avec les trois autres groupes causent un niveau plus élevé de stress maternel. A l’Université du Kurdistan, Nasser Youssefi et BentolHoda Karimipour ont conçu un programme basé sur la sublimation consciente qui réduirait le stress des parents ayant des enfants handicapés physiques (2018 : 113-132). A noter que ces études nous ont servi de références dans la compréhension et l’analyse de notre corpus.
De l’antiphrase à l’ironie Pour faire usage d’ironie dans son texte, l’auteur pourrait recourir à l’antiphrase qui est l’expression de l’idée inverse. Selon Kokelberg, il s’agit « d’un mode d’expression consistant à utiliser un mot, un groupe de mots voire toute une phrase, dans un sens contraire à celui qui est normalement (au sens strict ou hors du contexte) le sien » (2003 : 131). Autrement dit, l’ironie est souvent basée sur l’antiphrase afin de faire passer certaines idées sous forme de moquerie pour atténuer leur amertume, les rendre plus acceptables, ou simplement créer une ambiance adoucie. Sur le site Banque de dépannage linguistique[5], on peut lire une autre définition que voici : « L’antiphrase consiste à employer un mot ou une phrase dans un sens contraire à son sens véritable. Elle fait souvent appel à des termes appréciatifs. » On peut souligner les points convergents et divergents dans ces deux définitions : l’emploi d’un mot ou d’un groupe de mots dans un sens inverse constitue leur convergence et « appel à des termes appréciatifs », absent dans la définition de Kokelberg, désigne leur divergence. « […] l’ironie est un procédé stylistique qui consiste à affirmer le contraire de ce que l’on veut faire comprendre. Son objectif n’est pas de tromper, mais plutôt de mettre en évidence l’absurdité ou la fausseté d’une idée ou d’un fait. Elle peut être employée pour ridiculiser ou critiquer quelque chose ou quelqu’un. » (Banque de dépannage linguistique)
Kokelberg insiste aussi sur l’intention du locuteur ou de l’auteur qui est autre que l’on constate dans l’énoncé : « Mode d’expression indirecte qui consiste à voiler dans une antiphrase des propos dont l’intention réelle est railleuse ou perfide. (Le plus souvent, on feint d’applaudir à ce que, en réalité, on déplore.) C’est souvent le contexte qui permet le décodage de l’énoncé » (2003 : 132). A titre d’exemple, lorsque la grand-mère de Jean-Louis compte sur un miracle pour que les enfants soient guéris, lui, il parle ironiquement d'un autre miracle, celui de perdre ses fils pendant la cérémonie religieuse : « Et puis là-bas, dans la foule, les processions, la nuit, je risque de les perdre et de ne plus jamais les retrouver. Ce serait peut-être ça le miracle ? » (Fournier, 2008 : 16). Le miracle devient double : celui de guérison et celui de disparition des enfants. Lequel est salvateur ? C’est là où réside l’antiphrase. Aux yeux de Debyser, l’ironie a pour objectif de railler, de ridiculiser, de déprécier, de dévaloriser, ou même parfois d’apprécier autrement. Il s’attarde également sur « l’inversion sémantique » en soulignant : « […] dans les études consacrées à l’ironie, on remarque souvent que l’inversion de sens, ou « inversion sémantique », qui caractérise la plupart des énoncés ironiques, ne se produit que dans une seule direction […] c’est-à-dire que le positif a valeur de dépréciatif mais pas le contraire » (1980 : 2). Pour clarifier les propos de Debyser, on se réfère à un passage du livre lorsque le père raconte que celui qui a des enfants handicapés doit avoir la tête malheureuse devant les autres, Jean-Louis doit avoir l'air deux fois plus malheureux. Comme « Cyrano de Bergerac qui choisissait de se moquer lui-même de son nez », il se moque de son sort. Une fois, il parle au médecin de l'Institut médico-pédagogique à propos de ses fils : « Je me demandais parfois si Thomas et Mathieu étaient totalement normaux. Il (le médecin) n’a pas trouvé ça drôle. Il n’avait pas compris que c'était la seule façon que j’avais trouvé de garder la tête hors de l’eau » (Fournier, 2008 : 20). La dernière phrase du personnage témoigne d’un « mécanisme de défense » dont il se sert pour pouvoir tenir dans les méandres de sa vie –comme nous l’avons souligné dans la problématique de recherche. Vu toutes les caractéristiques de l’ironie, elle est selon Debyser un « acte de parole », puisqu’elle embrasse des verbes exprimant des jugements de tout ordre : positif ou négatif, encourageant ou décourageant, adouci ou acerbe, formulé méchamment ou gentiment, etc. De même, il souligne « l’ambiguïté » de l’ironie, ce jeu langagier, « dans la mesure où il faut en retourner le sens apparent pour obtenir le sens réel, caché » (1980 : 3). Il continue de faire la lumière sur cet aspect de l’ironie : « Si les marques de l’ironie sont trop évidentes, l’ambiguïté disparait et le sens « figuré » devient un sens « en clair » dépourvu de moquerie. Si au contraire, elles sont trop dissimulées, seul le sens « littéral » est véhiculé. Pour que l’effet ironique ait lieu, un minimum d’ambiguïté doit subsister dans le message » (1980 : 4).
Bref, « L’ironie consiste généralement à décrire en termes valorisants une réalité qui s’agit de dévaloriser » (Debyser, 1980 : 2), par exemple, on peut remarquer ces propos de Jean-Louis embrassant l’ironie, la religion et le jeu de mots : « Si un enfant qui naît, c’est un miracle, un enfant handicapé, c’est un miracle à l'envers » (Fournier, 2008 : 7).
Ironie et humour : divergence et convergence Vu les définitions de l’ironie, il s’avère nécessaire de relever ses différences avec l’humour. Selon Kokelberg « Animé d’une intention plaisante ou facétieuse, l’un recourra naturellement à l’humour. D’un caractère plus perfide et plus railleur, l’autre drapera ses propos dans les voiles de l’ironie » (2003 : 132). De cette définition il s’ensuit que l’humour fonctionne automatiquement, tandis que l’ironie est réalisée consciemment. Nous allons jeter un coup d’œil sur l’humour défini ainsi par Kokelberg : « Une tournure d’esprit qui, par l’expression linguistique, consiste à adresser un clin d’œil au lecteur ou à l’interlocuteur en lui proposant le langage ou la réalité sous un jour plaisant ou insolite » (2003 : 133). Ce linguiste fait également allusion à la métaphore qui va dans le sens inverse de l’humour : « Alors que la métaphore dans la plupart des cas nous entraine à prendre les mots au sens figuré, l’humour, à l’inverse, nous fait descendre habituellement du sens figuré (plus ou moins cliché) vers le sens propre » (2003 : 134). Vu cette distinction selon laquelle l’humour s’inscrit dans « le sens propre », on peut déduire que contrairement à l’ironie qui pourrait se dissimuler derrière une métaphore pour parler implicitement des réalités amères, l’humour, grâce à son langage direct, nous ouvre un autre volet de ce monde, « son côté comique », au dire de Jean d’Ormesson, côté qui « n’est jamais étudié, et rarement évoqué […] Un comique amer, naturellement. Un comique cruel. Très comique, malgré tout » (2014 : 63). Dans une partie du livre, dès que l’occasion se présente, le père en profite pour faire des plaisanteries. Par exemple, un jour pluvieux, en rentrant, il voit la grenouillère de Thomas accrochée, il reproche à Josée qu'en raison du handicap de Thomas, elle l'avait accroché au porte-manteau. La pauvre nounou jouant au jeu commencé par le père lui répond : « Je le laisse sécher un moment, monsieur, il était trempé » (Fournier, 2008 : 47). A en croire différents passages de cette autobiographie, quand Jean-Louis se réfugie aux « côtés comiques » des choses, la réaction de son entourage fait preuve de pitié et d’antipathie, mais la seule fois qu’il est compris, c’est lors de cet échange avec Josée. Quant à l’humour dans l’optique des psychanalystes, ce point sera abordé dans la partie analytique de la recherche.
Mécanismes de défense Face au stress et aux traumatismes, quelles qu’en soient les causes, « les mécanismes de défense et les processus de coping[6] » (termes empruntés à Chabrol) seront stimulés. « Les mécanismes de défense » sont des processus qui se mobilisent automatiquement ; ils peuvent même nous surprendre. Par contre, les processus de « coping » que nous sommes capables de maîtriser fonctionnent volontairement en dehors de notre inconscience. C’est par l’intermédiaire de ces derniers que l’on peut choisir une solution à une situation critique ou une réponse aux problèmes confrontés (Chabrol, 2005). Ces deux opérations mentales font l’objet de recherches des psychanalystes et des psychologues et elles tiennent une place importante dans les thérapies qui visent le comportement de l’être humain (Chabrol et Callahan, 2004). L’étude disjointe de ces deux fonctionnements inconscient et conscient mène à la dichotomie du comportement humain et néglige les complications qui dominent nos réactions : c’est cette dichotomie que l’on peut remarquer partout dans les confessions de Jean-Louis et à laquelle on a déjà fait allusion, si l’on considère séparément ses deux mécanismes chez le sujet du roman. Car « défense et coping s’activent habituellement, conjointement ou successivement et contribuent ensemble à notre adaptation aux difficultés de la vie quotidienne, comme aux situations difficiles de la vie ou aux traumatismes majeurs » (Chabrol, 2005 : 32). Or, il faut tenir compte de la classification distinguée par les spécialistes dans chacun de ces mécanismes pour voir si l’humour et le recours à l’ironie en feraient partie et quelle serait la réponse à la question principale de cette recherche. Cette question est toujours d’actualité : il y a des spécialistes qui l’ont étudiée en fonction de la contribution des mécanismes à l’adaptation ou l’inadaptation du sujet, d’autres l’ont observée en fonction de la cible et de la mobilisation des mécanismes modifiant les cognitions contre l’émotion (Chabrol, 2005 : 32-33). S’appuyant sur l’échelle de fonctionnement défensif du DSM-IV[7] (2005 : 33), Chabrol reconnaît sept niveaux de défense, parmi lesquels c’est le premier, dit « adaptatif élevé », qui pourrait nous orienter vers la réponse à notre question : « Le niveau adaptatif élevé assure une adaptation optimale aux facteurs de stress. Les défenses habituellement impliquées autorisent la perception consciente des sentiments, des idées et de leurs conséquences. Y sont décrits l’anticipation, l’affiliation, l’affirmation de soi, l’altruisme, l’auto-observation, l’humour, la sublimation, la répression. Ce niveau inclut des mécanismes qui se rapprochent des processus de coping les plus fonctionnels » (2005 : 34).
« Les mécanismes de défense » qui s’y sont réunis se distinguent selon Vaillant de ceux du « coping » : « Bien que plus près de la conscience que des mécanismes comme la projection ou le refoulement, les mécanismes matures ne peuvent être volontairement déployés » (2000 : 92). Pour ce psychiatre américain, ce niveau involontaire de défense fonctionne mieux que les stratégies de « coping ». A cette étape, nous allons étudier l’humour, mécanisme choisi par Jean-Louis pour mieux s’adapter à sa situation.
Humour D’après la définition donnée par DSM-IV, l’humour renforce « les aspects amusants ou ironiques des conflits ou des situations de stress », en faisant une distinction entre l’humour qui vise le sujet-même et l’ironie qui s’applique aux autres (Chabrol, 2005 : 34). Quand Thomas demande à plusieurs reprises à Jean-Louis « Où on va papa ? », il ne répond plus, mais voici les mots qui lui viennent à l’esprit : « […] On va droit dans le mur. […] On va prendre l'autoroute à contresens. On va en Alaska. On va caresser les ours. On se fera dévorer. On va aux champignons. On va cueillir des amanites phalloïdes et on fera une bonne omelette. […] On va aller à la mer. […] On ira se promener dans les sables mouvants. On va s'enliser. On ira en enfer » (Fournier, 2008 : 2).
Tous ces propos parsemés de fantaisie masquent le désespoir et l’obscurité des conditions dans lesquelles ils se trouvent ainsi que le désir de mettre fin à leurs jours. Pour Vaillant, l’humour est un mécanisme qui n’est pas conscient : « L’humour, comme l’anticipation et la suppression, est un dispositif de faire face si judicieux qu’il devrait être conscient, mais, presque par définition, l’humour nous surprend toujours » (2000 : 95). Pour Freud, l’humour est « lié à une condition, celle de rester préconscient ou automatique » car « le déplacement humoristique est impossible sous l’éclairage de l’attention consciente » (1905 : 407). A ce propos, on peut lire le passage où Jean-Louis imagine leur offrir à chacun un grand rasoir coupe-chou : « On les enfermerait dans la salle de bains et on les laisserait se débrouiller avec leur rasoir. Quand on n'entendrait plus rien, on irait avec une serpillère nettoyer la salle de bains » (Fournier, 2008 : 34). Or, cette pensée sinistre qui traverse l’esprit de ce père fait preuve de son enracinement dans l’inconscient. Selon Freud, l’humour est considéré « comme la plus haute des réalisations de défense » et contrairement aux autres mécanismes de défense, l’humour « dédaigne de soustraire à l’attention consciente le contenu de représentation attaché à l’affect pénible » (1905 : 407) ; en d’autres termes, l’humour peut transformer « partiellement ou totalement le déplaisir en plaisir » (Chabrol, 2005 : 34).
Analyse du corpus La naissance d’un enfant impose de nouvelles conditions de vie à la famille : garder ce petit étranger qui n’a aucun autre langage que ses pleurs, le maintenir, se consacrer avec dévouement à lui, etc. entrainent déjà des tensions psychologiques chez les parents. Or, si l’enfant est un retardé mental, ces pressions se multiplient : les parents savent que tous leurs efforts sont majoritairement voués à l’échec et qu’ils n’arriveront pas à mettre l’enfant sur la piste d’une vie normale. Ce handicap est à l’origine d’un grand stress, des problèmes dans l’interaction entre couple et en dehors avec la société, de la perte de la dignité, etc. ( Nosek & al., 2003), ce qui pourrait mener les parents à la dépression, à une fatigue extrême, à l’isolement, au mal traitement des enfants, même à la séparation et au divorce (Brown et Turner, 2012 ; Berkowitz, 2012), c’est le cas de Jean-Louis, délaissé par sa femme. Dans le livre, la raison de la séparation est précisément mentionnée : « La mère de mes enfants, que j’ai poussée à bout, en a eu marre, elle m’a quitté. Elle est partie rire ailleurs. Bien fait pour moi. » (Fournier, 2008 : 43). Son épouse avait besoin de « rire » et elle n’en trouvait pas l’occasion dans sa vie de mère d’enfants handicapés, même aux côtés d’un homme doué d’un fort sens d’humour. En général, les couples ayant des enfants retardés expérimentent un type de stress qui est spécifiquement associé aux exigences de la parentalité du handicap (Östberg et Hagekull, 2000) ; ce stress est en relation étroite avec le dysfonctionnement des parents (Östberg et Hagekull, 2000). Selon Orr, Cameron et Day (2001), le stress qui résulte des événements que la famille rencontre dans son quotidien avec les enfants retardés, ses effets sur la relation entre les parents et la capacité de gestion de la situation entraineraient deux comportements contradictoires, compatible ou incompatible, avec l’enfant et les conditions qu’impose son invalidité sur leur vie. Le personnage principal de cet ouvrage a essayé de s’y faire dans ces conditions, mais la mère n’a pas eu la capacité de vivre cette épreuve, alors elle s’est retirée de cette vie. Certaines recherches ont prouvé que le taux de stress de la parentalité dans de telles familles dépend du degré du handicap : par exemple, le syndrome de Down cause moins de stress aux parents en comparaison avec ceux qui provoquent plus de retard dans le développement intellectuel et physique de l’enfant (Fielder & al. 2000). Les recherches plus récentes ont visé l’analyse du stress chez les parents dont les enfants témoignent des syndromes exceptionnels comme celui de l'X fragile, cause fréquente de retard cognitif (Johnston & al., 2003), ou sont atteints du SIDA, de l’hyperactivité, de l’asthme, etc. (Gupta, 2007) pour en déduire que plus les enfants manifestent des troubles et anomalies dans leur comportement, plus les parents sont stressés. Jean-Louis n’a pas mentionné le nom scientifique du handicap dont souffrent ses deux fils, mais il en a brossé un tableau : « corps mou », « bosse », « scoliose », « insomnie », « problème de respiration », « incapacité d’apprentissage », … Cet ensemble est bien plus compliqué que le syndrome de Down et cause un haut niveau de stress chez les parents : à plus de 30 ans, Thomas, petit ange du père, « ressemble à une gargouille, il bave et il ne rit plus » (Fournier, 2008 : 87). Quant à Mathieu, voici son apparence : Le pauvre Mathieu ne voyait pas bien clair, il avait des os fragiles, les pieds tordus, il est devenu très vite bossu, il avait les cheveux hirsutes, il n'était pas beau, et surtout, il était triste. C'était difficile de le faire rire, […] Parfois il avait des crises de larmes déchirantes, comme s'il souffrait atrocement de ne rien pouvoir nous dire. On a toujours eu l'impression qu'il se rendait compte de son état. Il devait penser : « Si j'avais su, je ne serais pas venu. » (Fournier, 2008 : 7).
D’autre part, il y a des parents qui, au lieu de se concentrer sur leurs échecs, croient en leur pouvoir de la réalisation de ce qu’ils doivent accomplir en tant que responsables (Bandura, 2004) ; les recherches de Magklara, Burton et Morrison ont prouvé qu’il y a un lien direct entre l’efficacité personnelle et le bien-être (2014). Selon Luthans et Youssef, l’efficacité personnelle dépend de l’idée que chacun a ses capacités d’agir lorsque l’urgence exige une programmation (2007). Autrement dit, ceux qui sont compatibles avec la situation due au handicap de leurs enfants admettent et agissent sans aucun jugement, conscients, concentrés sur le moment (Rosenzweig & al., 2010). Où se situerait donc Jean-Louis ? Est-il compatible et efficace ? Non compatible et stressé ? Dans son autobiographie partielle, tout ce qu’il raconte n’est qu’en rapport direct avec ses deux fils infirmes ; il ne fait que très rarement allusion à sa femme et seulement une fois à sa fille qui est une enfant normale contrairement à ses deux frères. Sa narration ou plutôt son défoulement rappelle le traitement desoillien de « rêve-éveillé » dirigé : comme si un cadre lui était donné par un psychanalyste dont les directifs seraient limités à sa vie en rapport avec ses deux fils. Il se défoule se laissant aller dans un « rêve-éveillé », se dévoile et se met à nu. Nicole Fabre, adepte de Desoille, remarque que le patient sera ainsi « capable de donner sens à ce matériel onirique », d’où ce point important : « […] quand, dans le rêve-éveillé, se révèle ou se lit un passé dont le souvenir semblait aboli, quand ses associations conduisent le patient à un changement de regard sur l’histoire intime de ses conflits, quand apparaissent des vécus archaïques dont jusqu’ici il n’avait nulle conscience, etc. n’est-ce pas son inconscient qui prend la parole » (2001 : 134).
Comme un patient, Jean-Louis se défoule à l’écrit, s’appuyant sur le réel et l’imaginaire, se livrant aux mains d’une pratique dont on relève l’essentiel dans les propos de Desoille : « …la proposition faite par le thérapeute au patient de créer un espace imaginaire, celle de s’y mouvoir, et celle, implicite, de chercher dans cette démarche la voie de la sublimation pour l’évolution et la résolution des conflits internes » (Cité par Fabre, 2001 : 135). Toutefois, il y a des questions qui viennent à l’esprit des lecteurs ayant quelque connaissance de la psychanalyse : cette cure ne s’inscrit pas dans le traitement psychanalytique que l’on pratiquait déjà ? Serait-il possible de distinguer les frontières entre le rêve et la réalité dans le « rêve-éveillé » ? En voici la réponse de Fabre : « Nous pouvons dire aujourd’hui que la proposition de rêve-éveillé dans le cadre d’une analyse implique la création d’une scène imaginaire et d’un espace imaginaire dans lequel le patient se déplace, éprouve des affects, au fur et à mesure que se développe un scénario dont il est, bien entendu, l’auteur » (2001 : 135).
Dans l’imaginaire du père, ses enfants sont intelligents, sages et savants, mais ils s'enferment dans leur cocooning pour éviter la rencontre du monde réel, celui des gens ordinaires. C'est pendant la nuit qu'ils se démasquent pour dévoiler leur vraie identité : « Peut-être que la nuit, ils découvrent des lois, des principes, des théorèmes. Peut-être que la nuit, ils font des calculs savants qui n’en finissent pas. Peut-être que la nuit, ils parlent le grec et le latin. Mais que le jour se lève, pour que personne ne se doute et pour avoir la paix, ils reprennent l’apparence d’enfants handicapés » (Fournier, 2008 : 29).
La passerelle qui fait distancier le réel du rêve et vice versa n’exige pas toujours un grand effort chez le lecteur, car à certaines pages, le père semble bien conscient de l’état dans lequel ses deux fils sont condamnés à vivre jusqu’à la fin de leurs jours. Par conséquent, dès que la narration s’oriente vers des activités normales que les fils et les pères font ensemble, des conversations au sujet de l’art et l’histoire ou d’un avenir prometteur déclenchent, mais les lecteurs savent que ce n’est que de l’imagination. « Thomas adore dessiner et peindre. Il est plutôt tendance abstrait. Il n’a pas eu son époque figurative, il est passé directement à l’abstrait » (Fournier, 2008 : 55). Encore une fois, pour appuyer ses propos, Jean-Louis fait allusion à une figure authentique, ici Pollock[8]. Parfois la frontière entre ces deux univers disparaît et Jean-Louis invite son lecteur dans une fusion des deux mondes. Ce narrateur/personnage est dans un va-et-vient constant entre le fictif et le factuel ; une oscillation qui va jusqu’à la phrase, jusqu’au verbe, si bien que parfois le lecteur ne s’aperçoit pas du recul du temps pendant lequel le fictif a pris forme et les mots l’ont succédé. Bien qu’il chevauche entre l’imaginaire et le réel, il a les pieds sur terre. Lorsque pendant les vacances, la monitrice lui écrit des cartes de la part de Thomas, cela ne lui fait pas un grand plaisir : « Je préfère les gribouillages, informes et illisibles, que fait Thomas. Peut-être qu’avec ses dessins abstraits, il me dit plus de choses » (Fournier, 2008 : 56). Ce qui contribue à la distinction entre le réel et l’imaginaire, c’est surtout la présence de l’humour et l’ironie. Jean-Louis se ridiculise en même temps qu’il le fait au sujet des conditions dans lesquelles il se trouve. Comme si l’humour venait à son secours dans sa soumission à la tragédie de sa vie, ou que cette réaction spontanée le protégeait de la pitié qu’il repoussait, de même que des moqueries évidentes des enfants, de la gentillesse hypocrite et la méchanceté des adultes : « Quand on a des enfants handicapés, il faut supporter, en plus, d'entendre dire pas mal de bêtises». L’enfant handicapé est, selon ces gens, une punition : « C'est à cause de ton père » (Fournier, 2008 : 17), son père était grand buveur. L’ironie fait de Jean-Louis un père compatible sans avoir les conditions exigées pour l’être : il est amèrement rêveur pour être compatible et ironiquement réaliste pour être non compatible. En se culpabilisant comme d’habitude, il imagine une lettre qu’il aurait reçue à l’occasion de la fête des pères dans laquelle au lieu de le féliciter, les enfants l’accusent d’avoir fait de petits handicapés. La lettre finit ainsi : « Comme on n’est pas rancuniers et qu’on t’aime bien quand même, on te souhaite une bonne fête des pères » (Fournier, 2008 : 69). De même, le texte se concentre sur deux principaux thèmes tels « injustice et culpabilisation ». Quand il regarde ses enfants, il se demande : « Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir me reproduire ? […] J’ai parfois l’impression d’avoir laissé des traces, mais de celles qu’on laisse après avoir marché sur un parquet ciré avec les chaussures pleines de terre et qu’on se fait engueuler » (Fournier, 2008 : 75). L’amertume de ce passage dévoile ce qui se passe dans son for intérieur : d’une part, l’humour de Jean-Louis amène le lecteur à penser qu’il est un père compatible, mais son ironie le trahit ; de l’autre, il n’est pas tout à fait incompatible parce que son sens d’humour l’aide à tenir. La souffrance du vécu et le sentiment de l’échec qui hantent ce père pourraient être atténués par l’humour et l’ironie. C’est là où ces deux éléments linguistiques remplissent leurs vraies fonctions de mettre en scène une situation censée faire mal, le faisant profondément, mais qui ramène également le sourire aux lèvres des lecteurs. Tout comme dans les séances à deux, patient/psychanalyste ou bien auteur/lecteur, ils vivent la même expérience du défoulement du « rêve-éveillé ». Cette entrée dans le monde imaginaire du patient est un passage dans la réalité psychique de ce dernier ; c’est une invitation au voyage qui contrairement aux théories lacaniennes fait du thérapeute un « sujet-supposé-savoir » ainsi qu’un « sujet-supposé-rêver », voire un sujet « rêvant ». Le lecteur/analysant vit « une communication poétique dans la réalité d’une relation, même si celle-ci s’inscrit dans le transfert où la part d’illusion est importante, voire centrale » (Fabre, 2001 : 138).
Conclusion Il y a une binarité dans le texte : d'une part, le père voit la réalité qui est laide, cruelle, décevante, désespérante, sinistre, … de l'autre, son univers imaginaire avec de beaux rêves auxquels il se réfugie pour ne pas sentir ce fardeau écrasant. A préciser qu’une fois exprimés, les deux pôles prennent le relais. Ce père est toujours au passage : entre fictif et factuel, comique et tragique, ironie et sérieux, affection et cruauté, croyance et mécréance, gratitude et ingratitude, grâce et malédiction à l’égard de la divinité, sans oublier beauté et laideur, douceur et amertume. Le monologue se fait nettement sentir dans le texte, ce qui a marginalisé la polyphonie, à l’exception de quelques parties où il parle avec Josée, nounou des enfants, le médecin, son entourage, … ce qui souligne également l’absence de l’espace de communication interactive. On suppose que Jean-Louis et le milieu où il se trouve sont atteints, tous les deux, d’un soi-disant autisme qui les empêche d’établir des échanges verbaux et non-verbaux. Les familles ayant un membre handicapé se replient sur elles-mêmes ; on dirait des exilés dans leur propre société, enfermés à double clé dans un ghetto. Bref, la lecture de ce monologue nous a amenées à conclure qu’il s’agit d’un défoulement sur un divan imaginaire, un défoulement imprégné d’humour et d’ironie, quand ceux-ci s’avèrent nécessaire, pour sauver le père dans cette vie qualifiée par lui-même de « grande farce » où il perd tous ses repères spatio-temporels. Dans l’« impasse » (Fournier, 2008 : 89) qui l’étouffe, l’humour et l’ironie lui ouvrent un coin du ciel pour qu’il puisse continuer sa vie qu’il avoue avoir ratée.
[1] Accessible sur https://www.lepetitlitteraire.fr/analyses-litteraires/jean-louis-fournier/ou-on-va-papa/analyse-du-livre. [2] Accessible aussi sur https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2005-3-page-31.htm. [3] Professeur de psychopathologie à l’Université du Mirail, Toulouse. [4] Accessible sur https://doi.org/10.7202/1040263ar. [5] http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/ [6] Mot traduit en français par « stratégie d’adaptation » ou « processus de maîtrise » (Chabrol, 2005 : 32). [7] Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th Edition (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition) [8] Jackson Pollock (1912-1956), peintre américain de l’expressionnisme abstrait, mondialement connu de son vivant. | ||
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